Haïti au bord du précipice en raison des ravages du coronavirus et des dirigeants imposés par les États-Unis

Par Jeb Sprague et Nazaire St. Fort

Alors que le gouvernement d’Haïti, soutenu par les États-Unis et largement méprisé, encourage officiellement la distanciation sociale pour restreindre la propagation du Covid-19, la dure réalité est que la majorité de la population est probablement en train de se diriger vers l’immunité collective, un cas de figure dans lequel beaucoup seront infectés dans la rue plutôt que de mourir de faim à la maison.

Le 19 mars, le président haïtien Jovenel Moïse a annoncé que deux citoyens haïtiens avaient été testés positifs au Covid-19 (la maladie plus connue sous le nom de coronavirus). Le gouvernement a fermé la frontière, les ports et les aéroports d’Haïti mais a gardé les chaînes d’approvisionnement ouvertes. Seul un petit nombre de tests ont été administrés et on craint de plus en plus qu’une catastrophe sanitaire ne se produise au cours des semaines et des mois à venir.

Les informations et les commentaires se sont rapidement répandus à l’intérieur du pays grâce à WhatsApp et aux médias locaux. Avec le stress qui s’accumule, beaucoup savent qu’ils ne sont absolument pas préparés à une pandémie qui est également arrivée dans d’autres pays des Caraïbes, notamment la République dominicaine voisine.

Selon les derniers rapports, 3,167 personnes ont été testées positives en République dominicaine, avec déjà 177 décès. À Santiago de los Caballeros, la deuxième plus grande ville, l’un des principaux hôpitaux du pays n’aurait plus de lits disponibles.

De nombreuses familles en Haïti ont des membres de leurs familles qui résident en République dominicaine et reçoivent régulièrement des nouvelles. Le virus semble avoir été initialement introduit en Haïti via l’aéroport international Toussaint Louverture de Port-au-Prince. Depuis les deux premiers cas, le nombre officiel est passé à 15 au 30 mars, ceci étant certainement une sous-évaluation du véritable nombre. Des dizaines de personnes ont été mises en quarantaine.

Haïti fait à présent face à une pandémie imminente avec un système de santé public quasi inexistant et un système politique défaillant qui est ancré dans les interventions néocoloniales.

La région des Caraïbes a subi quatre siècles d’esclavage et de colonialisme et un cinquième siècle de dépendance économique. L’accélération de la globalisation et des développements technologiques a profondément modifié la région au cours des 20 dernières années, notamment les communications numériques gratuites, les réseaux de transferts de fonds high-tech, les voyages et le tourisme de masse et à bas prix ainsi que les nouveaux accords bancaires et financiers. Mais elle a également entraîné une montée des inégalités et des chocs climatiques, principalement sous la forme d’ouragans et d’élévation du niveau de la mer.

La globalisation et l’automatisation ont fait en sorte que des milliards de personnes soient précipitées dans la population excédentaire du capitalisme. Dans la logique implacable de ce système, de grands nombres de la population mondiale, voire des pays entiers comme Haïti, sont condamnés à la criminalité rampante, au chômage et à l’inflation, ainsi qu’à la désintégration des infrastructures et des services gouvernementaux. Il s’enfonce de façon destructrice dans le tissu social de la société.

Afin de préserver l’ordre social et la conception néolibérale de la « bonne gouvernance », les institutions occidentales ont recours à de strictes mesures d’austérité et aux interventions militaires, affaiblissant ainsi davantage la néo-colonie dont le sang économique est aspiré pour enrichir la bourgeoisie transnationale.

C’est cette recette qui fait qu’Haïti a été complètement prise au dépourvu face à la pandémie du coronavirus.

La dure réalité d’Haïti

En Haïti, le chômage est déjà très élevé. Avec 6 millions sur les 11 millions de citoyens haïtiens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté de 2,41 dollars par jour, selon la Banque mondiale, la plupart seront confrontés à un terrible dilemme sur la question de comment se nourrir et nourrir leurs familles tout en évitant d’être infectés par le virus.

Le docteur John A. Carroll, qui travaille dans des cliniques, des hôpitaux et des orphelinats haïtiens depuis 1995, a expliqué : « Il n’y a aucun traitement en Haïti qui soit accessible aux masses. Mais il y a la quarantaine pour arrêter la transmission. Mais comment isoler les gens des bidonvilles haïtiens où la densité de la population est si élevée et où les gens ont besoin d’avoir des contacts humains pour survivre ? ».

« Les personnes qui soutiennent la famille doivent gagner leur vie parce qu’ils ont tous besoin de manger », a poursuivi Carroll. « Et les voisins de cette famille n’ont ni le temps ni les capacités de lui venir en aide, car ils ont eux aussi des difficultés à survivre dans le bidonville. »

Alors que le gouvernement haïtien promeut officiellement le confinement et la distanciation sociale, la dure réalité est que la plupart de la population est probablement en train de se diriger vers une « immunité collective », où beaucoup d’entre eux devront faire le choix d’être infectés dans la rue plutôt que de mourir de faim à la maison. Certains, comme Carroll, pensent que cette courbe d’infection abrupte, par opposition à la courbe aplatie, entraînera moins de décès.

Obtenir une « immunité collective » est une approche que le gouvernement britannique a en fait suggérée il y a quelques semaines à son propre peuple, mais il l’a rapidement rejetée en raison d’une réaction violente du public. L’état britannique a plutôt imposé des mesures de « distanciation sociale » et (malgré un gouvernement de droite en place) s’est engagé à payer la majorité des coûts salariaux des entreprises dont les travailleurs restent à la maison.

Le 29 mars, des experts médicaux locaux interrogés sur Radio Kiskeya, l’une des stations de radio les plus importantes du pays, ont suggéré qu’un maximum de 800 000 Haïtiens pourraient périr du virus dans le pire des cas. Il faudrait des investissements étrangers à grande échelle et entreprendre des efforts locaux monumentaux pour éviter une telle catastrophe.

The Grayzone s’est entretenu avec le docteur Ernst Noël, de la Faculté de médecine et de pharmacie (FMP) de Port-au-Prince, qui a déclaré que le nombre de 800 000 n’est pas une exagération. Selon lui, de nombreuses personnes vont probablement mourir du coronavirus, et en plus grand nombre que celles qui ont péri lors du tremblement de terre de 2010.

Il a ajouté qu’il faudrait des investissements étrangers à grande échelle et entreprendre des efforts locaux monumentaux pour atténuer le coup de cette catastrophe imminente.

Cependant, un responsable du gouvernement haïtien, Patrick Dely, chef du Département d’épidémiologie, de laboratoire et de recherche du ministère haïtien de la Santé publique, a suggéré que les décès pourraient atteindre 20 000 et jusqu‘à 3 millions de personnes atteintes de la maladie de Coronavirus.

Vaciller au bord du gouffre

Ce serait un euphémisme de dire que le système de santé haïtien est mal préparé pour cette catastrophe imminente.

Selon l’Institut national de statistique d’Haïti, le pays ne compte que 911 médecins. À peine 4,4 % du budget national sont alloués à la santé nationale, ce qui se traduit par des hôpitaux mal équipés avec un personnel cruellement insuffisant. Les hôpitaux publics sont souvent confrontés à des grèves de travailleurs et certains membres du personnel médical semblent ne pas se présenter au travail, car ils manquent de masques, de gants et de blouses et craignent de contracter le virus.

Selon Le Nouvelliste, le journal le plus lu d’Haïti, le pays ne dispose que de 130 lits de soins intensifs, et la plupart sont des modèles anciens.

Selon le docteur Paul Farmer, cofondateur de Partners in Health, une organisation de soins médicaux basée à Boston, il se pourrait qu’Haïti ait moins de 30 lits de soins intensifs complètement opérationnels.

Il y a environ 64 respirateurs à l’intérieur du pays, quoique certains ne fonctionnent probablement pas.

Le docteur Farmer a souligné que les personnes vivant dans les pays du Sud font face à un risque considérablement plus élevé en raison d’une infrastructure de santé sous-développée :

« Toutes les complexités d’un hôpital, nous [dans les pays riches] n’avons pas à les gérer. L’oxygène est acheminé directement dans chaque chambre. Mais la terrible responsabilité de mes collègues en Haïti est qu’ils doivent s’inquiéter : Où obtenir l’oxygène ? Les solutions intraveineuses ? Pouvons-nous espacer les lits pour des soins intensifs ou des soins d’accompagnement afin de ne pas infecter les soignants ? Et nous avons épuisé beaucoup de stock de matériel car les soignants font plus attention à mettre des gants, à changer de gants, à mettre des blouses. Nous voyons de véritables problèmes dans la chaîne d’approvisionnement. »

D’après certaines informations, les médecins affectés à l’Université d’État d’Haïti (HUEH), le plus grand établissement médical du pays, ont échappé de justesse à une épidémie présumée de Covid-19. Ils n’avaient pas reçu d’équipement de protection individuelle et n’avaient pas non plus reçu les kits de tests pour tester les patients atteints de coronavirus. Même l’eau courante fait défaut dans certains établissements médicaux.

Le docteur Ulysse Samuel travaille dans une clinique externe de l’HUEH qui reçoit des patients en consultation externe. Il a expliqué à The Grayzone qu’avant la pandémie de Covid-19, il n’avait « jamais vu de respirateurs à l’HUEH », et maintenant, alors qu’une vague de cas menace de submerger l’hôpital, « j’ignore s’il y en a ».

Après des années d’intervention étrangère et d’ajustement structurel néolibéral, Haïti se retrouve forcément dans une situation désespérée où elle n’a pas d’autre choix que de dépendre des fonds internationaux pendant les périodes de catastrophe.

Selon le docteur Georges Dubuche du ministère de la Santé publique et de la Population du pays, 64 % du budget de la santé d’Haïti provenait de l’aide internationale en 2013. Le pourcentage est resté élevé depuis.

Le docteur Carroll prévient : « Haïti ne dispose pas d’un système de soins médicaux fonctionnel les bons jours et encore moins d’un système capable de lutter efficacement contre ce virus. »

La Banque interaméricaine de développement a pour le moment engagé 50 millions de dollars pour la réponse au coronavirus. Apparemment, le FMI envisage également un apport sans précédent de réserves pour les pays en voie de développement.

Haïti est l’un des 50 pays désespérés qui se seront partagé une partie d’un nouveau plan des Nations Unies de 2 milliards de dollars, mais cela va prendre du temps à se concrétiser.

Cuba, sous blocus américain, dont les équipes médicales sont très actives en Haïti depuis 1998, a dépêché une armée de 348 médecins et autres spécialistes de la santé pour aider à lutter contre le coronavirus.

Il existe d’importantes cliniques médicales privées et soutenues par des donateurs, comme l’hôpital géré par Partners in Health à Mirebalais. Il s’agit apparemment de l’une des premières grandes institutions médicales à avoir proactivement effectué des tests pour le Covid-19. Diverses ONG et de petits groupes axés sur la santé se sont efforcés de préparer et d’informer les gens au sujet de la pandémie.

À l’UniFA, l’Université de la Fondation Aristide située à Tabarre, une banlieue de Port-au-Prince, la faculté de médecine vient de commencer à diplômer des étudiants qui doivent exercer à l’intérieur du pays. En mars, l’université a diplômé ses 138 premiers étudiants. Parmi ses professeurs se trouvaient des enseignants de Cuba.

Comme l’explique son site, « les diplômés de la faculté de médecine accomplissent actuellement leur internat d’un an dans des hôpitaux à travers le pays. Dans de nombreux cas, ces jeunes professionnels sont les seuls prestataires de soins de santé pour toute la communauté. »

Les usines de Port-au-Prince ont été fermées le 20 mars. La plupart assemblaient des vêtements et des appareils électroniques pour les exporter. Il se pourrait que quelques usines soient bientôt restructurées pour produire des articles tels que des masques chirurgicaux. Pour les gens ordinaires qui cherchent à prendre des précautions, un masque chirurgical coûte environ 50 gourdes (environ 0,53 $) mais ils sont très difficiles à trouver.

Certains groupes d’entreprises qui sont actives en Haïti commencent à se préparer, notamment une association d’entreprises chinoises.

Pour ne rien arranger, sous le gouvernement Moïse qui est entaché par la corruption, l’Office national de l’assurance vieillesse (OFNAC) du pays a été terriblement mal géré. Les fonds destinés aux personnes âgées ont été retardés ou réduits, ce qui met encore plus en danger les personnes les plus vulnérables face au coronavirus.

Réagir face au désastre à venir

En fin de compte, la mise en quarantaine ordonnée par le gouvernement Moïse sera-t-elle perçue comme un acte creux de démagogie ? Elle n’est en grande partie pas appliquée, et nul ne sait si elle peut même l’être, étant donné combien les gens doivent lutter chaque jour pour leur survie.

Le gouvernement d’Haïti a présenté un plan de préparation et de mesures avec un budget estimé à 37,2 millions de dollars, mais on ne sait pas dans quelle mesure il sera efficace. Des organisations locales et internationales se réunissent pour coordonner des actions.

Une vendeuse de rue (surnommée « Ti Marchan ») a déclaré dans une interview à Island TV de Haïti que le confinement actuel était intolérable. Ayant besoin de gagner de l’argent pour nourrir huit membres de sa famille, elle s’est exclamée qu’elle préférait être infectée par le virus plutôt que de ne pas travailler puisque son seul moyen de subsistance quotidien lui était désormais retiré.

Beaucoup se demandent si le gouvernement d’Haïti sera en mesure de se procurer des denrées alimentaires de base pour nourrir la majorité de la population, car une grande partie de la population ne vit qu’avec quelques dollars par jour ou moins et subit maintenant des pressions pour se confiner et ne pas travailler.

Le gouvernement haïtien a annoncé des mesures de distribution de vivres pour certains districts, et ceci a lieu alors que les prix de certains aliments de base ont augmenté ces derniers mois et que la monnaie s’est rapidement dépréciée.

À titre de comparaison, dans la République dominicaine voisine, des responsables du gouvernement ont annoncé à la télévision nationale que les secteurs les plus pauvres du pays recevraient une aide financière pour les achats de nourriture via les « cartes de paiement solidaires » du gouvernement. Ils commenceront à recevoir une augmentation de 5 000 pesos (environ 92 $ US) par mois, à compter du 1er avril et jusqu’à la fin du mois de mai. La République dominicaine est devenue l’un des plus grands sites d’investissement étranger direct (IED) dans les Caraïbes et figure parmi les principaux sites touristiques de la région, de sorte que le gouvernement dispose de bien plus de ressources pour faire face à une telle crise.

Les premiers cas de Covid-19 en République dominicaine ont été officiellement reconnus par son ministère de la Santé fin février. Le gouvernement dominicain a commencé à prendre des mesures radicales telles que la suspension des vols en provenance d’Europe, un couvre-feu de 17 h à 6 h du matin qui pourrait se transformer en un confinement draconien de 24 heures avec des exceptions pour faire ses courses, acheter des médicaments et autres excursions nécessaires.

Haïti est le deuxième marché d’exportation de la République dominicaine après les États-Unis et elle dépend fortement des exportations dominicaines pour les produits alimentaires de base tels que le riz, ainsi que pour les produits de consommation manufacturés. Donc, tout ce qui affecte la République dominicaine finit par affecter la vie en Haïti.

Un certain nombre de travailleurs migrants haïtiens semblent être allés se réfugier au paysafin d’être avec leur famille. D’autres n’ont d’autre choix que de trouver des moyens illicites de traverser la frontière car leur survie économique dépend du travail quotidien effectué en République dominicaine.

Une grande partie de la population haïtienne est très consciente des véritables dangers que pose le coronavirus, mais en même temps, beaucoup confessent qu’ils n’ont d’autre choix que de gagner leur vie chaque jour grâce aux activités improvisées et informelles qui sont habituelles dans cette petite économie. L’écrasante majorité de ces travailleurs sont obligés de prendre des transports en commun très fréquentés jusqu’à leur lieu de travail.

Comme le virus heurte des pays du monde entier, il est peu probable que les gouvernements étrangers soient en mesure de mobiliser le soutien herculéen dont Haïti a besoin. Haïti ne dépense que 13 dollars par habitant pour les soins médicaux, contre 180 dollars en République dominicaine et 781 dollars à Cuba.

La confusion règne. Certains Haïtiens ont critiqué les mesures récemment prises par le gouvernement qui ont poussé des milliers de personnes à aller faire la queue pour obtenir des cartes d’identité nationales, après que les responsables ont déclaré que les cartes seraient nécessaires pour recevoir de l’aide pendant la pandémie.

 

Pendant ce temps, une vague d’enlèvements traumatise la population haïtienne, ce qui a même affecté le secteur des transports qui apporte des produits en provenance de la République dominicaine.

Un mouvement de protestation marque une pause et le directeur de l’hôpital est kidnappé

La crise politique actuelle rend la situation plus difficile. Moïse gouverne à présent sans parlement après avoir échoué à organiser des élections. Il a fait face à un soulèvement de masse qui menaçait de le chasser de ses fonctions. C’est le solide soutien diplomatique des États-Unis qui a été l’élément central à sa survie politique précaire.

Le coronavirus a cependant mis un terme aux énormes manifestations antigouvernementalesqui se sont déroulées fin 2019 et début 2020. Toutefois, celles-ci reviendront sans aucun doute car la crise actuelle a clairement démontré l’essence inhumaine du capitalisme néolibéral en Haïti et ailleurs.

Alors que des manifestations massives contre Moïse, qui est soutenu par les États-Unis, secouaient Haïti tout au long de l’année 2019 et que son gouvernement a riposté en engageant de violents paramilitaires pour sévir, l’hôpital Bernard Mevs s’est endetté en traitant gratuitement des centaines de manifestants blessés.

En mars, alors que le Covid-19 fonçait sur Haïti, le directeur de l’hôpital, le docteur Jerry Bitar, a été enlevé. Le personnel de l’hôpital a refusé d’accueillir de nouveaux patients jusqu’à la libération de Bitar, ce qui a conduit à sa libération le 27 mars.

Au 21e siècle, les Haïtiens ont fait face à plusieurs épreuves successivement. On estime que le nombre de décès dus au tremblement de terre du 12 janvier 2010 se situe entre 46 000 et 160 000, tandis que de nombreuses autres personnes ont été blessées et que jusqu’à un million de personnes ont été déplacées. Le pays ne s’est pas encore remis de ces tragédies, de nombreux survivants étant toujours coincés dans des villes composées de tentes.

Haïti a également survécu à une épidémie de choléra qui a tué près de 10 000 personnes et en a rendu malades plus de 800 000. Il a été constaté que les troupes d’occupation des Nations Unies ont provoqué cette épidémie à cause de leur négligence, et une campagne demandant des réparations de l’ONU est en train de se poursuivre.

Le pays a également subi plusieurs ouragans dévastateurs, dont l’ouragan Matthew en 2016, qui a considérablement ravagé la péninsule sud d’Haïti, détruisant sur son passage les récoltes et les villes côtières.

Les gouvernements de droite imposés par les États-Unis ouvrent la voie à une autre catastrophe

La population d’Haïti est confrontée à la pandémie du coronavirus après une série de crises d’origine humaine qui ont jeté les bases de la crise à venir.

Premièrement, il y a eu les coups d’état de 1991 et 2004, deux complots soutenus par les États-Unis qui cherchaient à faire reculer les avancées du peuple réalisées après des taux de participation historiques aux urnes du mouvement Lavalas de gauche de Jean Bertrand Aristide.

Lors des élections de 2010-2011, Washington est intervenu par le biais de l’Organisation des États américains (OEA) pour modifier efficacement les résultats électoraux et mettre au pouvoir Michel « Sweet Micky » Martelly, le chanteur pop de droite, inaugurant ainsi une décennie de régimes fantoches américains.

Moïse, le successeur de Martelly, semble avoir empoché des millions de dollars dérobés à des fonds destinés à contribuer à bâtir le pays grâce au programme vénézuélien PetroCaribe. Les fonds de PetroCaribe ont été utilisés par de nombreux états des Caraïbes pour combler les déficits budgétaires et investir dans des infrastructures importantes.

Le nom de Moïse est officiellement mentionné 69 fois dans le rapport sur la corruption récemment produit par le tribunal administratif d’état ; il est considéré comme l’un des principaux bénéficiaires, à la fois politiquement et financièrement, de la corruption autour des fonds de Petrocaribe.

En réponse aux manifestations, le gouvernement haïtien et ses alliés se sont également tournés vers une répression violente contre les quartiers populaires qui connaissent une grande vague de sentiments anti-gouvernementaux.

Au lieu d’investir dans les soins de santé, le gouvernement cherche de plus en plus à renforcer ses capacités de répression.

Avec le soutien des planificateurs de l’Organisation interaméricaine de défense, le gouvernement Moïse a commencé à reconstruire l’armée, qui avait été dissoute en 1995. Dans le passé, l’armée haïtienne symbolisait la répression de la volonté du peuple, régnant ainsi sur de nombreux coups d’état, massacres et campagnes de contre-insurrection afin de garantir le consensus de Washington.

Comme l’a écrit Jake Johnson du Center for Economic and Policy Research (CEPR) : « L’Office interaméricain de défense, un organe de l’OEA, a élaboré en juillet [2015] un livre blanc axé sur le rétablissement d’une force de défense haïtienne avec le soutien de l’ONU. »

En 2018, la nouvelle armée haïtienne comptait six membres du personnel en formation à l’École militaire des Amériques (SOA) aux États-Unis, rebaptisée Western Hemisphere Institute for Security Cooperation (WHINSEC), l’Institut de l’hémisphère occidental pour la coopération en matière de sécurité.

En mars, le gouvernement haïtien a diffusé sur WhatsApp une vidéo de relations publiques produite rapidement qui montrait des soldats en train de distribuer aux gens des sacs de riz devant les portes de leurs maisons délabrées.

Cependant, en février 2020, à Port-au-Prince, l’armée nouvellement reconstituée a eu un affrontement meurtrier avec des policiers qui étaient engagés dans un conflit social avec le gouvernement. Cet affrontement a illustré l’objectif fondamental de l’armée du pays, qui a toujours été fidèle à la politique de droite du pays et dont l’existence a été maintenue à des fins de répression interne.

Usée par des années de catastrophes naturelles et des catastrophes causées par l’homme, Haïti affronte une nouvelle épreuve historique avec peu de ressources pour y faire face. Mise à l’écart et réprimée par un système politique imposé par les États-Unis, c’est la majorité pauvre qui paiera les frais du coronavirus.


Jeb Sprague est chercheur à l’Université de Californie à Riverside et a enseigné à l’Université de Virginia ainsi qu’à l’Université de Californie à Santa Barbara. Il est l’auteur de Globalizing the Caribbean: Political Economy, Social Change, and the Transnational Capitalist Class (Temple University Press, 2019), Paramilitarism and the Assault on Democracy in Haiti (Monthly Review Press, 2012). Il est également l’éditeur de Globalization and Transnational Capitalism in Asia and Oceania (Routledge, 2016). Il est le co-fondateur du Réseau d’études critiques du capitalisme mondial. Visitez son blog à l’adresse suivante : http://jebsprague.blogspot.com

Nazaire St. Fort est diplômé de la Faculté d’agronomie et de médecine vétérinaire (FAMV) de l’Université d’État d’Haïti. Il a été le directeur local de l’Initiative d’Haïti de l’Université de Californie et a contribué à la rédaction d’un rapport sur les droits de l’homme pour le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Il a également développé une coopérative laitière dans le département du Sud d’Haïti, et a travaillé avec, entre autres, la télévision suisse, la radio BBC, la télévision nationale CVS, Al Jazeera, et a co-écrit des articles sur Haïti pour l’Inter Press Service (IPS ) et d’autres médias.